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La petite vision d'Omar
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10 décembre 2019

EL HADJ ANZOUMANA SYLLA LE « PACIFICATEUR »

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EL HADJ ANZOUMANA SYLLA LE « PACIFICATEUR »

Nous sommes en février 1982. Un avion Fokker 28, propriété de Felix Houphouët Boigny se pose difficilement sur l’aérodrome poussiéreux d’une ville du nord du pays. A son bord plusieurs membres du gouvernement, des cadres de la région du Kabadougou et un cercueil. L’avion immobilisé, le cercueil est délicatement déplacé et sorti, tandis qu’une foule médusée et chagrinée récite en cœur l’attestation de foi musulmane. Le « colis » est ensuite embarqué dans une voiture et avec, toute la délégation, direction Tiemé, 29 km à l’est. En cette période d’harmattan, la norme aurait été un soleil de plomb et une poussière insupportable. Mais à l’arrivée du corps dans Tiémé, une pluie interminable, les officiels sont déroutés, pourtant, la cérémonie funèbre doit suivre son cours normal. Présentation de civilité, en attendant la fin de la pluie. Le ciel n’a pas dit son dernier mot, ce sont des cordes qui s’abattent sur Tiémé. Finalement, et n’ayant plus le choix, le feu vert est donné par les décideurs du jour. « L’enterrement doit se faire même dans l’eau ». C’est alors qu’une foule compacte prit la direction de l’endroit prévue pour abriter éternellement le défunt. Prière mortuaire sous une forte pluie et le corps fut mis en terre boueuse avec le cercueil. (Probablement la première fois qu’on voyait ce genre de situation dans ce village).

La cérémonie terminée, une seule question taraudait l’esprit des étrangers de la délégation. Qui était cet homme pour que le président mette à sa disposition son avion personnel ? pourquoi tout ce monde pour l’accompagner ?

L’homme s’appelait Anzoumana Sylla et est né autour de 1893 à Tiémé. A cette époque, les parents avaient coutume de confier leurs progénitures à des instructeurs afin de leur inculquer le bagage nécessaire pour pratiquer la religion musulmane. C’est alors qu’un peu avant l’âge de 10 ans, ses parents l’envoyèrent à Odiénné, auprès de la grande famille Savané. L’enseignement consistait pour lui et ses paires en mémorisation, lecture coranique et travaux champêtres pour le Cheick Ismaël Sy Savané. Selon la légende, un jour, alors que tout le groupe d’élèves était déjà au champ, Anzoumana traina un peu les pas et ses camarades élèves mangèrent tout le repas matinal. Ils prirent soin de laver les cuvettes et les disposèrent vides comme si elles contenaient encore de la nourriture. Le petit Anzoumana arrivé tout mort de fatigue leur demanda où était sa part de déjeuner. Sereins, ils lui indiquèrent les cuvettes bien superposées. Lorsqu’il se lava les mains et souleva le couvercle, miracle ! un plat succulent s’y trouvait. Lorsque ses paires rapportèrent l’information de la scène au maitre Sy Savané, il comprit qu’il avait sous la main un enfant à part.

Après 20 ans à Odiénné, le voilà à Mankono chez Vamé Cissé sur recommandation de son précèdent maitre. Là, c’est la spécialisation en interprétation et commentaire des hayats (le tafsir). Puis à Marabadiassa, et enfin à Bouaké, au quartier Kôkô ( petit-Tiémé ou Syllanbougou). Ses ainés qui l’avaient incité à rentrer sur Bouaké lui trouvèrent un espace pour la création d’une madrasa. Il s’y installa avec ses élèves. L’homme était spectaculaire, sans gout pour le luxe, parlait peu, s’enfermait constamment et lisait beaucoup, bref un vrai soufi stoïque, en même temps un Tijanite, mais très peu de personnes le savaient. Il n’avait d’autres activités que d’enseigner gratuitement ses talibés. Cependant, il ne manquait jamais d’argent. Il se raconte que lorsque ses épouses lui demandaient l’argent nécessaire pour la pitance, Anzoumana soulevait le bout de sa natte en paille et sortait des billets dressés. Et il en fut ainsi toute sa vie.

En 1946, quatre ans avant le départ de Anzoumana à la Mecque, l’islam de Bouaké est dominé par presque toutes les tendances. Vers la fin de cette année réapparaitra un certain Ladji Tchèkoro Kamaté en provenance de la Mecque, dans ses valises, de l’eau de zam-zam et un nouvel islam pur et dur. Il considérait désormais qu’il fallait purifier l’islam et mettre de côté les marabouts. C’est la genèse des premières tensions. Bonne arrivée aux wahabits. Anzouman Sylla se rendit en pèlerinage à pied en 1950. Dans la foulée, en 1951, l’ancien imam de la mosquée Dougouba, Bélé Koyta fut révoqué parce qu'il était borgne. El Hadj Kabiné Diané un wahabite est alors nommé imam de la prière du vendredi. Avant son départ à la Mecque, Kabiné Diané priait les bras croisés, brusquement à son retour, il décida de ne plus les croiser. Ce qui courrouça les « croiseurs de bras » qui désertèrent la mosquée. Contre toutes attentes, alors qu’il lisait le sermon un vendredi, Diané affirma qu’ « aucun balafré n’accèdera au paradis », or 75% de ses fidèles étaient originaires de Haute-Volta donc balafrés. Il n’en fallait pas plus pour que la mosquée devint alors un dojo, les tapis un tatami, et les fidèles de véritables karatéka. Ils se frappèrent toutes l’après-midi. L’administrateur colonial de l’époque Marcel Cadaire intervint pour calmer les ardeurs. Hélas, aucun camp ne voulut mettre de l’eau dans son vin. C’est alors que pour une affaire de « bras croisés et ballants », la grande mosquée de Dougouba à Bouaké sera fermée pour huit mois. Huit mois au cours desquels les voisins ne se parlèrent plus, des amitiés défaites, des divorces…naissance de plusieurs petites mosquées familiales aux sermons incendiaires. Certains pratiquants ne se sentant plus en sécurité furent contraints à l’exil. Comme le dit Jacques Larue dans son œuvre Jean Ramidier Gouverneur de la Colonisation, paru chez Karthala « le conflit avait pris un aspect politique car les responsables du RDA de Houphouet avait pris fait et cause pour les bras croisés. Quant aux traditionnalistes des bras ballants, ils avaient l’appui du député et ennemi de Houphouët, Sékou Sanogo

Pendant ce temps, les consultations étaient en cours pour trouver le pacificateur, celui qui par son action et impartialité pourrait bâtir un pont entre les frères ennemis. Le comité mit sur pied pour trouver cet homme comprenait : Marcel Cadaire l’administrateur colonial français, Felix Houphouet Boigny le député de la Côte d’ivoire à l’assemblée française, un certian Djibo, et le commissaire Tchèkoura (à vérifier). A rappeler que le dernier cité, Commissaire Tchèkoura a donné des indices de grands négociateurs lors du tracé de la voie principale devant diviser le quartier Kôkô en deux. Tracé qui avait alors engendré des conflits entre les frères Tiéméka.

Un seul nom revenait constamment suite aux consultations : celui de El Hadj Anzoumana Sylla.
 

(fin de la première partie) 

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